Introduction

La présence de corps étrangers (CE) chez le chien et le chat est une condition assez fréquente (Caivano & coll. 2016, Cerquetella & coll. 2013, Gianella & coll. 2009, Sale & Williams 2006, Schultz & Zwingenberger 2008). Ils peuvent se retrouver quasiment à n’importe quel endroit du corps et être de toute nature. Les corps étrangers peuvent être ingérés, inhalés, pénétrer par effraction n’importe où au niveau de la peau ou des muqueuses oropharyngées ou digestives. Dans certains cas, ils peuvent être retrouvés très loin de l’endroit où ils ont été implantés ou par lequel ils ont pénétré l’organisme. Des cas de migration éloignée de broches de Kirchner ou de brochettes ont été décrits (Grand & Bureau, 2001, Hunt & coll. 2001).

Cas clinique

Un chien de race Springer anglais de 22 kg, âgé de 5 ans, a été présenté en consultation début 2016 suite à la présence d’une fistule persistante au niveau du flanc gauche depuis 2012. Depuis cette époque, il présentait des pics d’hyperthermie. Un corps étranger (CE) était suspecté.

Début 2012, une première chirurgie exploratrice par voie latérale a été réalisée. Aucun CE n’a été visualisé ni retiré. Un examen bactériologique réalisé lors de la chirurgie a mis en évidence la présence d’un Staphylococcus aureus. Plusieurs traitements antibiotiques successifs ont permis une fermeture temporaire de la fistule mais à chaque arrêt du traitement, celle-ci revenait.

Fin 2012 et début 2013, deux autres chirurgies exploratrices par voie latérale ont été réalisées mais le CE n’a toujours pas été trouvé.

En juin 2013, un scanner a permis de le localiser. Une quatrième chirurgie a été réalisée dans la foulée par voie latérale mais toujours sans succès.

Examens complémentaires

Lors de la consultation référée, le chien était normotherme, la biochimie était normale et la NFS montrait une légère neutrophilie. L’examen général était bon et la fistule était fermée.

Il a été décidé de réaliser un scanner avec injection de produit de contraste. Les conclusions de l’examen des images étaient (Dr Yseult Baeumlin) les suivantes :

« Un élément hyperdense, linéaire qui semble creux est noté dans le muscle iliopsoas gauche. Cet élément est localisé ventralement à L4-L5 et mesure environ 4 cm de long. Le muscle iliopsoas est par ailleurs anormalement enflé. En post contraste, on remarque une prise de contraste diffuse de la partie ventrale du muscle sur quasiment toute sa longueur abdominale.
Plusieurs cordons hyperdenses se dégagent de cette zone qui capte le contraste et rejoignent les structures sous-cutanées, en suivant les limites des fascias musculaires. Les cordons les plus importants sont notés en arrière du rein gauche.

Les structures osseuses sont lisses et régulières. L’espace rétropéritonéal est normal. L’uretère gauche circule juste ventralement au muscle iliopsoas qui est anormalement inflammatoire, mais ne semble pas altéré.
Absence d’adénopathie. Absence d’ascite ou d’implication des structures abdominales.

Suspicion de corps étranger linéaire, probablement un élément végétal (épillet, petit morceau de bois) dans le muscle iliopsoas gauche, ventralement à L4-L5. Une myosite/cellulite inflammatoire est associée, combinée à des trajets de fistule dont les plus importants sont en arrière du rein gauche ».

La figure 1 représente les prises de contraste au niveau du muscle iliopsoas et le trajet fistuleux. Le CE est également mis en évidence. La figure 2 montre le CE en coupe transversale. Suite à ces précisions, une cinquième chirurgie exploratrice a été programmée mais cette fois par laparotomie.

Figure 1 : Examen scanner de la région abdominale après injection de produit de contraste. A : Corps étranger. B : Trajets fistuleux. C : Prise de contraste dans le muscle iliopsoas. D : Corps étranger.
Figure 2 : Mise en évidence du CE (flèche) en coupe transversale.

Traitement chirurgical

Le chien a été prémédiqué à l’aide d’un mélange de médétomidine à la posologie 0,01 mg/kg (Médétor® 1 mg/ml – Virbac Santé Animale) et de butorphanol à la dose de 0,1 mg/kg (Torphasol® 4 mg/ml – Axience), l’induction a été pratiquée grâce à de l’alfaxalone à la dose de 2 mg/kg (Alfaxan® 10 mg/ml – Dechra) et la maintenance de l’anesthésie à l’aide d’isoflurane (Vetflurane® – Virbac Santé Animale) mélangé à de l’oxygène à la concentration de 1,5 %. Un mélange analgésique de type fentanyl- lidocaïne-kétamine (FLK) a été administré au pousse seringue tout au long de la chirurgie.

L’abdomen a été tondu largement et une asepsie a été réalisée à l’aide de povidone iodine. Le chien a été positionné en décubitus dorsal et la laparotomie a été réalisée par la ligne blanche depuis l’extrémité de l’appendice xiphoïde et s’est arrête 5 cm en avant de l’insertion du tendon prépubien.

Un écarteur abdominal a été positionné afin de bien visualiser l’intérieur de la cavité abdominale. Les organes ont été délicatement refoulés crânialement afin d’atteindre les muscles sous-lombaires. Caudalement au rein gauche, des adhérences étaient présentes et du tissu fibreux masquait les différents fascias et les plans musculaires. Les tissus nécrosés, infectés ou dévitalisés ont été curés et retirés.

Une dissection mousse et délicate a été entreprise dans le sens de la longueur des fibres du muscle iliopsoas jusqu’à découvrir la coque fibreuse qui entourait le CE. La figure 3 illustre le retrait du CE.

Une fois le CE retiré, un rinçage abondant de la cavité abdominale au sérum physiologique tiède a été réalisé avant fermeture. L’abdomen a été suturé classiquement et un pansement collé a été mis en place.

Figure 3 : Mise en évidence du CE (extrémité de la sonde d’aspiration) lors de la laparotomie.

Suivi postopératoire

Le chien est resté hospitalisé pendant 48 heures. Le relais analgésique a été réalisé à l’aide de buprénorphine à la dose de 10 µg/kg toutes les 8 heures (Vétergésic® Multidose 0,3 mg/ml – Céva Sogéval). Le chien a été réalimenté et de l’eau fraîche a été mise à disposition en quantité modérée le soir même. Une alimentation normale a été reprise dès le lendemain.

Le traitement antibiotique et anti-inflammatoire a été poursuivi pendant une quinzaine de jours.

Des balades en laisse pour les besoins hygiéniques ont été préconisées le temps de la cicatrisation de la peau et de la paroi abdominale.

Suivi et résultats

15 jours après la chirurgie, le retrait des fils a été effectué par le vétérinaire traitant. Depuis, le chien se porte bien et plus aucune fistule n’est réapparue. La guérison clinique semble acquise.

Discussion

La littérature regorge d’exemples de CE chez le chien et le chat : ils peuvent être d’origine métallique (broches, balles de fusil, plombs, hameçons, clous, trombones,…), végétale (épillets, graines, échardes, épines, morceaux de bois, cure dent, …), animale (épine de porc-épic, coquillage, os, dent, …), pétrochimique (brosse à dent pour chien, morceaux de plastique, …), alimentaire (lamelles à mâcher, os en peau de buffle, …) ou encore minérale (cailloux) (Bouhabdallah & coll. 2014, Cerquetella & coll. 2013, Jackson & coll. 2002, Gianella & coll. 2009, Grand & Bureau 2011, Hopper & coll. 2004, Hunt & coll. 2004, Kaiser & coll. 2013, Laksito & coll. 2011, Moon & coll. 2012, Pacchiana & coll. 2001, Sale & Williams 2006, Schultz & Zwingenberger 2008, Vansteenkiste & coll. 2014, Yamagishi & coll. 2000).

Les CE végétaux tels que les épillets touchent principalement les chiens de chasse ou de travail, et plus particulièrement au printemps ou en été (Hopper & coll. 2004). Il semblerait que les CE d’origine végétale que l’on retrouve dans les muscles iliopsoas ou près des vertèbres lombaires proviennent le plus souvent d’une migration depuis le parenchyme pulmonaire mais une migration depuis le système digestif est également possible. (Frendin & coll. 1999, Hopper & coll. 2004, Kaiser & coll. 2013, Laksito & coll. 2011).
En cas de CE chronique, la numération formule sanguine (NFS) est fréquemment normale à subnormale et accompagnée d’une neutrophilie modérée. Les paramètres biochimiques sont parfois aussi modifiés : hyperprotéinémie, hyperglobulinémie, hyperglycémie modérée et diminution du rapport albumine/globuline signent une stimulation antigénique chronique (Jackson & coll. 2002, Moon & coll. 2012).

La mise en culture du liquide de décharge des fistules révèle différents germes non spécifiques tels que Escherichia coli, Enterococcus spp., Staphylococcus aureus, Staphylococcus epidermidis, Corynebacterium spp., Pasteurella spp., Mycoplasma spp. La plupart du temps, un traitement antibiotique ciblé permet une fermeture des fistules donnant l’apparence d’une guérison mais dès l’arrêt des traitements, il faut en général peu de temps pour que la décharge purulente ne reprenne vigueur, soit au même endroit, soit un peu plus loin (Jackson & coll. 2002, Moon & coll. 2012, Schultz & Zwingenberger 2008, Yamagishi & coll. 2000).
Les techniques d’imagerie sont d’une aide précieuse pour la mise en évidence des CE ou des lésions qu’ils occasionnent. De par leur nature variable et la chronicité fréquente des lésions, il est parfois compliqué, voire impossible de les mettre en évidence à l’aide d’une seule technique d’imagerie. Il n’est pas rare de devoir coupler plusieurs méthodes. (Bouhabdallah & coll. 2014, Caivano & coll. 2016, Cerquetella & coll. 2013, Hopper & coll. 2004, Kaiser & coll. 2013, Laksito & coll. 2011, Schultz & Zwingenberger 2008, Vansteenkiste & coll. 2014).
Le diagnostic des CE végétaux par radiographie pose problème. Souvent, les débris végétaux ont séjourné un certain temps dans l’animal avant la consultation et leur apparence radiographique se rapproche de celle des tissus avoisinants. Ils sont quasiment indétectables. Malgré cela, il est possible de mettre en évidence des réactions périostées vertébrales qui peuvent orienter le diagnostic (Bouhabdallah & coll. 2014, Frendin & coll. 1999, Schultz & Zwingenberger 2008).

Une solution simple et peu onéreuse permet de repousser un peu plus loin les limites de la radiographie lors de suspicion de CE végétal : la fistulographie et la sinographie. La fistulographie consiste à injecter un produit de contraste iodé dans le trajet de décharge à l’aide d’une sonde de Foley. La sinographie consiste en l’injection du produit de contraste directement dans une cavité afin de révéler son contour (Jackson & coll. 2002, Yamagishi & coll. 2000).

L’échographie est un excellent moyen de diagnostic pour les CE migrateurs d’origine végétale. Généralement, les épillets apparaissent comme des structures fusiformes hyperéchogènes de longueur variable. Le CE est souvent entouré d’une zone hypoéchogène correspondant à une réponse inflammatoire. L’échographie peut également être utilisée en peropératoire afin de localiser plus précisément le CE.

Selon les études, l’échographie permet de détecter entre 60 et 100 % des CE mais les résultats sont très opérateur dépendant (Bouhabdallah & coll. 2014, Caivano & coll. 2016, Frendin & coll. 1999, Hopper & coll. 2004).
De plus en plus accessible, le scanner permet une meilleure localisation spatiale des lésions même si le CE n’est pas toujours visible. Il permet entre autre de localiser un trajet fistuleux, des nœuds lymphatiques médiastinaux ou abdominaux augmentés, des abcès ou des masses en région lombaire ou rétropéritonéale (Schultz & Zwingenberger 2008). Une étude portant sur 44 chiens et 10 chats a permis de visualiser le CE dans 19 % des cas et de montrer les lésions secondaires dans 96 % des cas (Vansteenkiste & coll. 2014).

L’IRM est l’examen le moins accessible en pratique courante. Elle permet cependant la mise en évidence de CE avec une limite de détection de 2,5 mm, ce qui la rend moins attractive lors de suspicion d’épillet (Bouhabdallah & coll. 2014).

Conclusion

L’imagerie est d’une aide précieuse pour le diagnostic des CE sous-lombaires. Il ne faut pas hésiter à avoir recours à plusieurs méthodes différentes car certaines sont plus sensibles ou spécifiques que d’autres.
En clientèle généraliste, la radiographie et l’échographie permettent généralement de localiser la cause du problème et parfois sa nature. Le scanner avec produit de contraste peut affiner un diagnostic ou confirmer une suspicion. L’IRM est également intéressante mais moins disponible que les autres techniques d’imagerie.

La chirurgie des CE logés dans les muscles sous-lombaires peut s’avérer compliquée et hasardeuse. Elle demande une certaine technicité et un équipement adapté. Ce cas semble démontrer que la recherche d’un CE sous-lombaire par voie latérale n’est pas la meilleure solution. Au bout de 4 tentatives infructueuses réalisées par abord latéral, nous avons eu la chance de trouver facilement le CE en pratiquant une laparotomie exploratrice large et en écartant les viscères crânialement afin d’avoir une bonne vue d’ensemble des muscles sous-lombaires. Cet abord chirurgical semble donc indiqué pour le retrait des CE sous-lombaires.

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